« Little Tulip », de François Boucq : les pouvoirs chamaniques du dessin »

Source : La Voix du Nord, 24 novembre 2014, Denis SENIE. (Article en ligne)

L’histoire de cette saisissante bande dessinée prend sa naissance au coeur du goulag. À travers le destin d’un tatoueur de génie, le Lillois entreprend une profonde réflexion sur le sens du dessin. Rencontre.


« Little Tulip », de François Boucq : les pouvoirs chamaniques du dessin

Cette BD est le croisement de retrouvailles avec l’Américain Jérôme Charyn, 25 ans après leur collaboration sur La Femme du magicien et Bouche du Diable, et de deux petit livres extraordinaires sur le goulag trouvés dans une librairie du Quartier latin.


Charlemagne ? Non, le goulag !


Après avoir décidé de travailler ensemble sur un nouvel album, ils commencent à discuter. Charyn voulait faire une BD sur Charlemagne (!), Boucq pensait depuis longtemps à une histoire qui parle du dessin.


« Je trouvais qu’il y avait tellement de choses à raconter sur le dessin, et que la plupart du temps ceux qui parlent du dessin ne le pratiquent pas. Et que l’idéal pour parler du dessin c’est la bande dessinée. Je voulais absolument ça. Charyn m’a proposé une histoire d’enlumineur du temps de Charlemagne, mais j’ai refusé devant l’impossibilité de trouver la doc nécessaire.

Là-dessus, je tombe sur deux livres incroyables dans une librairie minuscule mais remplie de trésors. C’est une histoire dessinée du goulag racontée par un gars qui l’a vécu de l’intérieur puis qui était gardien de goulag. Ce gars devient aussi tatoueur pour les droits communs, et il fait une encyclopédie en dessin de la signification des tatouages réalisés. »


François Boucq a une révélation : pour parler du dessin, le tatouage est une voie royale.


« Avant de découvrir ces livres, j’avais toujours été fasciné par ceux qui au fond des camps de concentration dessinaient et conservaient leurs dessins malgré les fouilles et les souffrances endurées. Là, le dessin est à la fois un moyen d’expression et un moyen de survie. Mais il y avait déjà beaucoup de choses racontées. Alors j’ai montré les livres à Charyn et on est partis de là pour faire une histoire. »


Un conte de fées moderne, et cruel.


Voilà le jeune Pavel, arrivant au goulag et séparé de ses parents. Il devient tatoueur pour les truands, ce qui lui sauve la vie. Le tatouage du camp est hautement symbolique. Il donne la hiérarchie de celui qui le porte, son histoire, ses convictions, le rattache à un groupe.


François Boucq explore les pouvoirs presque magiques du dessin dans une mise en abyme étourdissante de virtuosité et de force.


L’histoire se prolonge et se termine à New York où une série de meurtres renvoie Pavel à son passé… Cette superbe réflexion sur le dessin se lit à plusieurs niveaux et l’on peut longtemps en explorer les subtils entrelacements.


Charyn/Boucq « Little Tulip », Le Lombard, 80 p. 16,45 €.