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« Marc Hardy : C’est amusant d’aborder des sujets qui grattouillent en BD »

Source : La Voix du Nord, 15 février 2014, Ruben MULLER


Ce week-end, la 34e édition du Salon du livre et de la BD est à marquer d’un Pierre Tombal. Le parrain en sera Marc Hardy, dessinateur, entre autres, du fossoyeur le plus célèbre – et le plus drôle – du 9e art. Entretien.

Marc Hardy : C'est amusant d'aborder des sujets qui gratouillent en BD

Quand on pense « rire », on ne pense pas forcément « cimetière ». Comment vous est venue l’idée d’une série sur un fossoyeur ?
« L’idée de Pierre Tombal n’est pas de moi mais du scénariste Raoul Cauvin qui s’est basé sur une série de dessins que je lui ai donnés, des choses très instinctives qu’on griffonne en téléphonant ou sur un carton de bière. Je pense qu’il a tapé vraiment juste parce que dans mon enfance, j’ai perdu trois frères. Ça a été pour moi un exorcisme fabuleux. On a parfois peur de se moquer de ce qui fait souffrir mais ça m’a terriblement aidé. Et plus la série avance, plus j’ai des lecteurs qui viennent me dire qu’ils ont été confrontés à la mort et que Pierre Tombal les a aidés à passer le cap. »

Comment a évolué la série en trente ans ?
« Raoul et moi nous approchons du terme et la série évolue de plus en plus vers des petits fabliaux qui tournent autour de la mort elle-même. Au départ, c’était très gentil – c’était édité dans Spirou, un journal pour enfants. Le sujet était déjà tellement choquant pour l’éditeur et le public qu’une bonne partie des gags du premier album se passaient dans un cimetière pour animaux. Puis tout doucement, on a introduit des personnages secondaires, la Mort est devenue un personnage principal. Il y a deux ou trois albums, on a introduit le personnage de la Vie, qui est vraiment le pendant de la Mort et qui rend celle-ci sympathique : qui des deux est responsable du fait qu’un jour tout s’arrête ? C’est assez amusant de tourner autour de cette question. »

Ça a été difficile de vendre cette série à Dupuis et « Spirou » ?
« Le rédacteur en chef, Philippe Vandooren, nous avait commandé une série mais il était le seul à l’aimer chez Dupuis. On a commencé à travailler sur la série en 1982 et le premier album n’est sorti que cinq ans après. Pendant tout ce temps, ça n’a été qu’une série d’animation dans le journal mais il y a eu assez vite des courriers de lecteurs réclamant la série. J’ai eu la chance que Dupuis, qui était jusqu’alors dirigée par un vrai éditeur, soit racheté par Albert Frère, une des plus grosses fortunes de Belgique. Paradoxalement, ça a sauvé la série : comme elle était différente, les financiers se sont dit qu’il y avait peut-être de l’argent à faire avec. Ils n’avaient pas les angoisses ou les préjugés des Dupuis, qui soumettaient tout le contenu du journal à leur confesseur jésuite. »

Vous avez aussi créé « Lolo et Sucette » autour de deux prostituées. Vous aimez les sujets iconoclastes ?
« Rester dans un créneau qui a déjà été fait n’est pas très intéressant. C’est amusant d’essayer de forcer un peu les choses dans une maison d’édition. Au départ, Lolo et Sucette était une commande de L’Écho des savanes. Avec (le scénariste) Yann, on trouvait amusant d’explorer ce sujet mais on ne voulait pas en faire une BD pornographique, ni même érotique – il n’y a qu’à voir le physique de nos héroïnes. Il n’y a jamais dans Lolo et Sucette de scène de cul explicite et Albin Michel avait envie qu’on aille plus loin dans le côté crudité. C’est pour ça qu’on l’a finalement fait chez Dupuis qui lançait une collection d’humour plus adulte (Humour libre). J’en étais ravi car on bousculait vraiment les habitudes des gens qui y travaillaient : quand les représentants avaient Lolo et Sucette en main, ce n’était pas le énième album autour d’un même thème. »

Pensez-vous que sortir de telles séries aujourd’hui serait plus facile ou difficile qu’il y a trente ans ?
« Bonne question. J’avais fait une autre série avec Yann chez Glénat, La Patrouille des libellules, autour de filles scoutes au début de la Seconde Guerre mondiale. On y traitait vraiment tous les sujets avec une grande liberté et on se moquait de tout. Trois albums sont parus et le quatrième, qui n’est pas paru parce qu’on s’est fâchés avec l’éditeur, devait se passer à Auschwitz. À l’époque, c’étaient les derniers feux de Mai 68, il fallait toujours aller plus loin, il n’y avait pas la moindre forme de censure. Maintenant les choses sont un peu différentes. Par exemple, dans cet album, il y avait de la pédophilie et je ne sais pas si j’aurais encore envie de rire de ça aujourd’hui, surtout avec ce qui s’est passé en Belgique. Mais ce serait amusant d’aborder d’autres sujets qui gratouillent. Le rire est nécessaire, salutaire et salvateur. Je crois qu’on doit rire de tout, c’est le premier contre-pouvoir et il ne doit pas y avoir de tabou. Fatalement, ça crée des dégâts collatéraux mais c’est le prix à payer pour avoir une véritable démocratie. »

Il y a beaucoup de cimetières militaires par ici. Ça pourrait vous inspirer pour « Pierre Tombal » ?
« Tout un album, non, mais il y aura sûrement l’une ou l’autre histoire qui tournera autour de 14, je pense qu’il a déjà dû y en avoir. Mais la série ne traite pas de l’actualité, elle traite de la vie en général. On peut y faire intervenir des éléments d’actualité mais ils doivent être suffisamment vagues pour pouvoir être lus dans une trentaine d’années. Là, on va parler beaucoup de la Guerre de 14 mais une fois le centenaire passé, ça va malheureusement retomber dans l’oubli. Parler de la guerre de 14 en elle-même, non, parler de la démesure et de l’horreur qu’elle contient, très probablement. »

Parlez-nous un peu du nouvel album à paraître en avril.
« Ça reste un album d’humour mais il y a également beaucoup de tendresse par rapport à la vie et une grande crainte par rapport à l’inconnue que représente la mort. Sans prétention, ça devient des petites histoires qui traitent de la mort de façon vaguement philosophique. Le ton reste léger mais on sent que ça approche. »

▶ 34e Salon du livre et de la BD, aujourd’hui et demain de 10 h à 19 h à la salle des sports, rue du Rietz à La Couture.


Le festival